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ANTIMANIFESTO

Parachevant ce petit cycle des 4 saisons par une réflexion sur les liens entre Art & Ordinaire (les quatre épisodes de la série Showroom ont eu lieu proche des deux solstices et des deux équinoxes de 2019), il nous a semblé avec Axelle Terrier qu'il serait très compliqué en restant dans l'analyse d'apporter à cet édifice théorique une nouvelle pierre qui pèserait, disons, un poids spécifique. Les liens entre Art & Ordinaire, ou symétriquement Art & Extra-ordinaire, sont multiples, très commentés et, on s'en aperçoit rapidement, consubstantiellement contradictoires, c'est-à-dire que les deux bouts présentent sûrement autant d'éléments véraces. Est-ce le confinement de ce printemps-Covid 2020 qui nous a rendu fainéants et résignés au point de ne pas pousser l'investigation qui peut-être alors nous ferait pencher ? La profusion de l'information en général et des analyses systématiques en particulier qui brassent le sens et les avis pêle-mêle et tout azimut finiraient par décrédibiliser et démotiver nos candides entreprises de formalisation ? Non, sûrement pas, et il semble au contraire y avoir une urgence à faire le tri, à livrer et partager ses propres tris, c'est-à-dire son enthousiasme, sa révolte et son intelligence intime des choses, car après tout si cela s'avère candide, on aura d'autant plus l'occasion par la rencontre de changer ses avis grâce à des intelligences de choses et des tris qui auront été livrés par d'autres. Versatilité, fraîcheur, qu'impliquent le combat contre les "Reptiles de l'esprit". Voilà ni plus ni moins la rengaine du harpiste.

Dans un premier temps, lorsque nous avons sondé à la volée quelques rapports dialectiques entre Art & Ordinaire, un très large éventail de références apparaissait, constituant rapidement autant d'abordages possibles et insolubles. Ou difficilement solubles dans le sens d'une synthèse des idées et ensuite dans l'idée d'apporter à cet édifice théorique une nouvelle pierre qui pèserait un poids spécifique. Sans quoi, sans doute, mieux vaut quand même se taire.

Que ce soit au travers de la question de la fonction de l'art dans la société, une question éminemment trans-historique, culturelle et sociale, de celle qui entend distinguer ontologiquement statut de l'artiste passionné-amateur du statut de l'artiste professionnel-passionnant, aux pensées philosophiques de Stanley Cavell sur l'ordinaire, à la théorie esthético-littéraire de Gérard Genette à travers la figure de l'anti-métalepse (définie par lui non plus comme l'apparition de l'artiste dans son œuvre, grosso modo la métalepse, mais à l'inverse l'apparition de l'œuvre, ou la rétroactivité de l'œuvre, sur la vie même de l'artiste), il y avait déjà là trop de matière impossible à délaisser. Qui plus est, de là, de l'antimétalepse, s'ouvrait encore d'autres perspectives, et pas des moindres, celles des mouvements situationnistes, de l'art contextuel, de l'esthétique relationnelle, du statut de la performance en général, etc ... 

Cet effort là, c'est certain, n'était pas vraiment à notre portée. Toutefois, preuve en est, ceci ne resta pas sans provoquer quelques effets... Pour ma part je penchais sans balancer du côté de l'extraordinaire, de l'artiste magicien, de l'art qui graduellement peut divertir, pervertir, subvertir, parfois convertir. Or c'est cette idée de parenthèses, très liée à l'achèvement et à la clôture, et plus qu'une idée, ce ressenti même des seuils d'entrée et de sortie dans la création et sa réception, qui me fait réviser ce penchant. C'est aussi le rapport au rituel, aux dispositifs, le rapport de l'art à la transcendance. Cette éviction de l'ordinaire par le régime transcendant donc, y compris, et même "qui plus est", quand la transcendance se dépouille au maximum d'artefacts et des transformations de choses de l'ordinaire pour s'y tenir à la fois au plus prêt et au plus "haut", cette éviction je la trouve désormais un peu simple, peut-être d'une mystique pragmatique un peu facile, je ne sais pas. Je manque de lectures. Quitte à se positionner plus tard. En même temps personne ne nous demande rien. Et alors ? Bref, c'est immense, c'est rude, de vaciller sans pencher.

Je suis retombé donc sur cette Vision Mémorable du Mariage du Ciel et de l'Enfer de William Blake, la rengaine du harpiste, la dispute si affreuse et si tendre entre l'ange et le poète. Et enfin depuis on s'est accordé avec Axelle, et on a fait ensemble Antimanifesto, une œuvre à part entière, une pièce sonore sur une lecture de William Blake, avec un vidéo clip. Après coup, j'ai même pensé que Antimanifesto sonnait pile-poil entre Antipesto  (Wallace & Gromit) et Manifesta (2020) la biennale qui débute cet été à Marseille, et alors ça m'a fait du bien. C'est ainsi, parfois de drôles d'efforts entraînent de drôles d'effets.

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